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François de Singly, auteur de "Comment aider l'enfant à devenir lui-même ?"

 François de SINGLY Parent-Solo : Vous êtes sociologue, spécialiste de la famille, à l’Université Paris Descartes, auteur de nombreux livres sur ce thème. Votre dernier ouvrage, "Comment aider l'enfant à devenir lui-même", sorti en octobre 2009, comporte le sous-titre "Guide de voyage à l'intention du parent". En quelques mots, expliquez nous ce parallèle imagé avec le voyage ?

Fds : J’oppose deux conceptions de voyage éducatif. Le premier est un voyage organisé où les « voyageurs » n’ont qu’à suivre le programme. C’est le même pour tous, on doit s’y plier. Le second propose des trajets personnalisés où l’agence met à la disposition du voyageur un accompagnateur. Mais c’est le voyageur qui explore. Il le fait en toute sécurité, grâce au travail du voyagiste. Pour moi, l’éducation contemporaine doit s’inspirer de cette seconde forme, le voyage découverte, et ne pas avoir la nostalgie des voyages organisés autoritaires à l’ancienne. C’est plus difficile, mais c’est plus respectueux pour l’enfant. Il pourra mieux se réaliser, devenir lui-même.

P.S. : Finalement, vous confirmez toute la difficulté du rôle de parent et son ambigüité : autorité ET écoute ; règles ET droit d'expression personnelle ; enfant dépendant ET autonome ; protection ET libération. Comment trouver le juste équilibre et "apprendre à être de bons accompagnateurs" ?

FdS : Ne pas considérer tous les enfants comme identiques, ne pas nier leurs différences rend plus compliqué le rôle de parent (mais aussi d’enseignant). L’individualisation augmente le travail pour chacun, pour celui doit se développer et pas seulement obéir, et pour le parent qui doit être attentif. Je ne sais pas si c’est un « juste » équilibre qu’on doit atteindre entre autorité et écoute. La règle du 50/50 n’est pas la bonne, elle est contraire à l’individualisation elle-même : selon les moments, selon les enfants eux-mêmes, selon la culture familiale, le poids peut varier. La dépendance de l’enfant est une donnée, ce n’est donc pas là-dessus que les parents jouent, c’est sur l’autorisation d’un apprentissage de l’autonomie, plus précoce.

P.S. : Vous semblez relativiser les idées très marquantes comme celles de "l'enfant roi" de Françoise Dolto ou l'influence de mai 1968, en montrant que l'environnement contemporain joue un rôle majeur ?

FdS : Françoise Dolto ne plaide pas pour l’enfant roi. 68 n’évoque pas l’enfant. Donc ce qui est remis en question dans ces années-là ce sont les dégâts d’une autorité qui réprime la nature de l’enfant, et qui lui interdit de devenir lui-même. Les excès du « il est interdit d’interdire » ne doivent pas masquer le sens profond de ces revendications : chacun peut et même doit se construire, sans un programme commun. Ce qui est sous-estimé c’est le renouveau du rôle de parent, d’éducateur : il est moins répressif, moins programmateur. Il doit aider l’enfant à devenir lui-même dans un cadre qui protecteur.

P.S. : Vous distinguez le "voyage à l'ancienne" du "voyage découverte" : ce dernier peut-il être envisagé pour toutes les familles, et surtout pour toutes ses formes, y compris familles monoparentales et familles recomposées ?

FdS : Oui, ce voyage-découverte est possible pour tous les types de famille, mono, homo, ou recomposées. Ce n’est pas la structure qui compte, ce sont les qualités des parents accompagnateurs. Une mère seule peut aussi bien accompagner son enfant sur le chemin de la découverte de soi qu’un père d’une famille classique. Je ne me situe pas du tout dans une perspective psychologique qui privilégie la forme classique de la famille des périodes antérieures. Il est nécessaire de fixer des cadres, des limites à l’expérimentation de l’enfant, cela ne revient pas nécessairement au père, ou ne renvoie pas à la loi du père.

P.S. : Comme beaucoup d'autres spécialistes, votre conception de la relation parent-enfant est en totale opposition avec celle d'Aldo Naouri. Avec un tel "grand écart", les parents peuvent-ils savoir où se placer ?

FdS : C’est la difficulté de la période actuelle, tous les discours sont possibles. Celui de Naouri est nettement nostalgique du voyage à l’ancienne. C’est son droit. La question qui mérite d’être posée, c’est plutôt pourquoi des magazines modernes font la promotion de la nostalgie. L’éducation ne doit pas être caractérisée par l’existence du rétroviseur avant tout, en effet nos enfants vivent et vivront adultes dans un monde si différent déjà du nôtre, et encore plus de celui de leurs grands parents. La nostalgie dans l’éducation est dangereuse.

P.S. : Vous remarquez que "les familles se mobilisent pour la réussite de leur enfant, avec les moyens - inégaux - dont elles disposent" : n'est-ce pas le cœur - insoluble -du problème ? Et les politiques peuvent-ils faire quelque chose ?

FdS : Non, je ne suis pas d’accord sur l’usage du mot « cœur » du problème. Les inégalités sociales existent, et risquent d’exister encore longtemps. Il faut lutter contre, ce qui n’est pas si simple. Mais l’éducation ne peut pas avoir seulement cet objectif. Un parent désire-t-il avant tout que son enfant soit l’égal de tous les autres ? Je n’ai jamais entendu un tel propos dans les nombreuses enquêtes. Ce qui importe c’est d’avoir les ressources, notamment économiques, pour permettre à notre enfant de pouvoir faire ces découvertes. Cela présuppose des politiques publiques d’animation des temps libres, comme la création de clubs de sports, d’écoles de musique, etc. L’éducation comprend deux dimensions principales : la production de l’enfant comme « valeur » sociale (tel diplôme), mais aussi de l’enfant comme « valeur » personnelle.

P.S. : La "culture commune" est souvent perçue comme le socle de la famille. Or, elle n'est pas si évidente, elle doit se construire ?

FdS : La « culture commune » c’est ce qu’il y a de plus difficile à construire dans la mesure où il ne s’agit pas de désigner ainsi quelques valeurs transmises par les parents, mais des moments, des activités ensemble pour faire groupe et qui s’inscrivent ensuite dans la mémoire. Cette invention d’une culture commune ne peut se faire que par négociation afin de se mettre d’accord sur ce qui peut intéresser le mieux chacun.

P.S. : Vous écrivez "la notion de bonne distance est une illusion, il faut la remplacer par celle de l'élasticité du lien" : est-ce à dire que le parent doit toujours s'adapter ? Et n'est-ce pas aussi ce même rapport qui prévaudrait dans une relation de couple ?

FdS : La notion de bonne distance est trompeuse, car on a l’impression qu’on peut la trouver ! Or c’est une erreur, à certains moments on peut être très proches, à d’autres, non. Le groupe est aimable s’il laisse chacun vivre sa vie et en même temps s’il impose aussi des temps communs. Ce ne sont pas au parent de se plier aux exigences des enfants, il a, lui ou elle aussi, le droit, à certaines heures, le soir par exemple, de se retrouver, d’avoir des moments à soi. L’élasticité du lien traduit l’idée selon laquelle on ne doit être ni toujours collés, ni toujours séparés, ni toujours entre les deux.

P.S. : Les parents "doivent créer les conditions d'une émancipation progressive de l'enfant" : quid en cas de débordement, notamment chez les familles d'un seul parent qui expriment souvent cette difficulté dans le forum de www.parent-solo.fr ?

FdS : Le parent n’a pas à se laisser déborder, même si des fois cela arrive bien évidemment. Il ne faut pas confondre l’apprentissage de l’autonomie – auto-nomos, c’est-à-dire avoir des règles personnelles de conduite – avec l’expression des caprices de l’enfant. L’émancipation ce n’est pas le passage de l’autorité externe du parent à la dictature des simples besoins ou envies du moment. L’autonomie est une exigence. Elle s’apprend de manière difficile, pas seulement en obéissant aux parents, mais aussi en découvrant progressivement par essais et erreurs ses propres règles, ses propres limites. L’émancipation n’a de sens qu’éclairée par la raison, autre forme de pouvoir, plus intérieur. Ce qui est difficile pour le parent est de savoir interpréter ce qui relève du caprice, du « moi je » pur, et ce qui relève de cette construction raisonnée et raisonnable de l’enfant. C’est pourquoi le parent nécessairement se trompe, et éduque aussi par essais et erreurs.

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