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Dimanche, faites des mères ! par le sociologue Eric Donfu

« vive les pondeuses » La fête des mères n’a pas toujours eu la cote dans les années 70. Aujourd’hui, même si son sens original est en contradiction avec la libération des femmes, cette fête est fêtée par 72% des français (Sofrès2006). C’est vrai que les françaises ont désormais le record d’Europe de la natalité avec en moyenne 2 enfants par femme, et que les baby boomeuses ont développé des liens forts avec leurs enfants, qui le leur rendent bien, d’autre part.

Cela fait donc deux mères au moins à célébrer dans des familles ou quatre générations coexistent souvent, où l’enfant devenu la base en lieu et place du couple et la grand parentalité une ressource affective et matérielle de plus en plus importante.

Eric Donfu

Mais un risque de confusion entre les générations ne conduit-il pas à célébrer la maternité plus que sa mère ? A accompagner l’image d’une mère parfaite de retour dans son foyer version 2008 ? Ce serait un pied de nez aux filles de mai qui ont défendu l’idée qu’une bonne mère était une mère qui pensait aussi à elle, et que l’on pouvait être femme sans être mère. D’ailleurs, dans cette « génération 68 », une femme sur dix n’a pas eu d’enfant. Cela dit, que signifierait une « fête des non-mères » ? Certainement moins qu’une fête qui penserait aussi aux belles-mères, c'est-à-dire à toutes ces femmes, de plus en plus nombreuses, qui élèvent l’enfant de leur mari, et doivent refouler leur humiliation quand seule la mère biologique est fêtée. Ce rôle complexe, où la femme essaye d’élever l’enfant sans usurper la place du parent biologique n’est guère associée à ce rituel de reconnaissance et de valorisation de la filiation qui devrait pourtant faire écho à leur investissement quotidien. Le temps de la parentalité indivisible et biologique est bien remis en question par la monoparentalité, la beau-parentalité, la pluri-parentalité et l’homoparentalité. Alors que l’on célèbre le couple sacré et sacralisé de la mère et de l’enfant, ces parents différents de la famille traditionnelle et ces « parents en plus » sont oubliés, alors même qu’une famille sur dix est une famille recomposée et un enfant sur quatre vit avec un seul de ses parents (INSEE).

« Il n’y a qu’une maman et c’est toi ma maman » Même loin, maman reste proche. Et si, généralement, cette occasion permet de se retrouver de façon heureuse, cette fête peut aussi avoir un goût amer pour certaines mères séparées de leurs enfants à la suite d’une séparation, d’un divorce ou des circonstances de la vie. Pour elles, cette date rituelle réveille une douleur qu’une pensée, un coup de fil, un mail ou un courrier n’apaisera qu’un temps. Que dire aussi des enfants adoptés qui ne connaissent pas et souvent recherchent leur mère biologique, des nés sous x, ou de tous ceux qui, placés, sont privés de leur mère ? Comme toute fête, tout anniversaire, la fête des mères est aussi un révélateur des solitudes affectives, et ravive la douleur des séparations, par la vie, la mort, dans le temps ou l’espace géographique. Et il y a de plus en plus de solitudes, signes des injustices de la société mais aussi, aujourd’hui, lourd tribu des recompositions familiales Et ce sont bien les femmes qui, à la différence des hommes, se remettent le moins en couple après une séparation.

Selon une étude Ifop réalisée en 2001, une femme sur trois est toujours très touchée et satisfaite de recevoir une création artisanale réalisée par son enfant – création qui arrive en première position, et de très loin, chez les mamans âgées de 25 à 49 ans. Même si, dans le même temps, aidé par un tapage commercial considérable, 9 hommes sur 10 se sentent obligés d’offrir un cadeau à leur femme et à leur mère – principalement des fleurs, des bijoux ou un parfum –, ce sont bien les enfants qui font la force de cette fête par « l’artisanat du coeur ». Le dessin au feutre, le cendrier en terre cuite, le patchwork, la boîte de camembert transformée en coffret à bijoux ou les colliers de nouilles – même redoutés par certaines mamans - ont de l’avenir ! Le rôle des maîtres et des maîtresses, qui encadrent ces ateliers de la fête des mères à l’école, surtout en maternelle, est donc important. Et pour l’adolescent qui a du mal à exprimer ses sentiments, la fête des mères peut être l’occasion privilégiée où un simple « bonne fête maman » trouvera un écho profond pour la mère comme pour son fils ou sa fille.

La fête des mères est en fait une fête vieille comme le monde, internationale et quasi universelle ! Durant de longs siècles, l’Église et la célébration de la vierge Marie ont contribué à occulter cette fête. « Mère » est même devenu un titre pour désigner certains membres de la communauté religieuse, comme les abbesses par exemple… En fait, la fête des mères, telle que nous la connaissons depuis le début du XXe siècle, est bien une fête laïque ! Elle était déjà célébrée dans l’Antiquité par les Grecs, qui fêtaient Rhéa et la fécondité et par les Romains qui célébraient les Matraliae, du mot latin mater qui veut dire mère. Tous les mots de la famille de mater comme maternelle, matrice, maternité ont donc un lien avec ces divinités et la maternité est l’endroit désigné pour mettre les enfants au monde et devenir maman. La fête des mères telle que nous la connaissons aujourd’hui, est née à Boston, aux États-Unis, en 1872, à l’initiative de Julia Ward Howe. Cette idée fut reprise au début du XXe siècle par une institutrice, Ana Jarvis : inconsolable après la perte de sa mère, elle remua ciel et terre pour faire accepter l’idée d’une fête nationale célébrant toutes les mères. Et elle obtint gain de cause. Si le Mother’s Day est fêté depuis 1912 aux États-Unis le deuxième dimanche de mai, c’est parce que c’est le jour où Ana perdit sa maman adorée.

Contrairement à la légende, cette fête n’est donc pas une invention de Vichy. Elle fut célébrée pour la première fois en France au mois de juin 1906, dans l’Isère, sur l’initiative de l’Union fraternelle des pères de famille. Elle avait déjà été évoquée par Napoléon en 1806 et fut proclamée le 9 mai 1920, dans le but de célébrer les familles nombreuses et d’encourager le repeuplement de la France après l’hécatombe de la guerre de 1914-1918. La première cérémonie eut lieu le 20 avril 1926. Si Pétain l’utilisa en 1941 pour faire la propagande de la bonne ménagère soumise et dévouée, c’est après la Libération qu’elle fut officialisée par la loi du 24 mai 1950, afin « que la République française rende officiellement hommage aux mères ». Et les conquêtes des femmes ne remirent pas en cause ce symbole familial. La fête des mères a conservé son importance par-delà les générations, les mutations de la famille et de la condition des femmes. Elle est devenue une date, un instant qui cristallise à présent un nouvel esprit de famille, notamment dans les foyers où la famille est multiple, atypique ou défaillante.

Il serait donc temps d’y célébrer aussi le lien familial, et avec, les grandes mamans, les mamans chéries mais aussi les mamans choisies et les mamans de cœur !

Eric DONFU, sociologue

23 mai 2008

Auteur de Oh mamie boom (Jacob-Duvernet ,2007) et Ces jolies filles de mai, 68 la révolution des femmes (Jacob-Duvernet, 2008)

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