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Patrice Huerre, auteur de "Pères solos, pères singuliers ?"

Patrice HuerrePatrice Huerre, vous êtes pédo-psychiatre et vous venez de signer, avec Christilla Pellé-Douël, l'ouvrage "Pères solos, pères singuliers ?" chez Albin Michel : l'augmentation des pères seuls nous conduirait-elle vers une nouvelle définition de la parentalité ?

Patrice Huerre : Je ne pense pas que ce soit le cas. Par contre, ces pères solos conduisent – même si ce n’est pas leur projet – à revisiter un certain nombre d’idées reçues concernant les rôles du père et de la mère, tels qu’ils sont repérés traditionnellement.

P.S. : Pourquoi le "père célibataire" - qui n'existe d'ailleurs pas dans le langage courant - est-il si encore si souvent associé à un homme "féminisé" ?

P.H. : Effectivement, contrairement aux mères solos, on ne dit ni père célibataire, ni fils-père, même si aujourd’hui on n’utilise plus guère ces dénominations pour les femmes. Tout se passe comme si les pères solos suivaient le chemin des mères solos en accéléré, sans "bénéficier" du recul et de l’expérience d’autres générations. D’où les représentations qui leur sont parfois accolées d’hommes "féminisés", le modèle d’un homme "paternel" étant associé aux hommes en couple et ce qui est nouveau poussant souvent à se référer aux idées de l’air du temps, plus qu’à la réalité des situations…

P.S. : Vous dénoncez l'idée reçue selon laquelle "durant les premières années de vie, le bébé ne peut grandir correctement qu'en présence d'une figure maternelle et que le père ne peut valablement intervenir qu'après". Pourquoi cela perdure-t-il ? L'instinct maternel ?

P.H. : Depuis les travaux en éthologie et sur l’attachement, on sait bien que le tout-petit, pour assurer sa survie, va s’attacher à la figure adulte susceptible de répondre au plus près et de manière fiable à ses besoins. Il peut alors s’agir de son père comme de sa mère, d’un homme comme d’une femme. Tout dépendra de la manière dont cet adulte saura s’adapter au bébé, qu’il soit le père ou la mère.

P.S. : Selon vous, la proximité du fils ado et du père n'est pas forcément rêvée, contrairement à une autre idée reçue, car elle "peut être aussi à l'origine d'une compétition et de conflits bien difficiles à surmonter". Vous ajoutez que l'ado garçon peut voir dans son père solo "un obstacle à son épanouissement : on ne peut exister ni rivaliser avec ce père auquel on est lié, noué par la reconnaissance" : vous cassez encore le mythe du duo père-fils ?

P.H. : Il ne faut jamais généraliser ! Il est des cas nombreux (en particulier en cas de séparation conjugale ayant conduit au droit de garde par la mère) dans lesquels le séjour chez le père à l’adolescence dégagera le jeune homme d’une proximité trop excitante d’avec sa mère engendrant des conflits inutiles : c’est alors un avantage. Dans les cas où le père a la charge principale du garçon depuis l’enfance, il peut à l’inverse – mais pas toujours ! - être bon pour le garçon de prendre un peu de champ pour pouvoir utiliser le modèle paternel comme point d’appui pour se construire grâce à la distance d’avec lui.

P.S. : Alors que "les mères seules ont pour coutume de dire qu'elles doivent être une mère et un père à la fois", le père dirait plutôt qu'il doit être "père à 150 %", comme s'il marquait là une infériorité ou une culpabilité : pour quelle raison, selon vous ?

P.H. : Faute d’ancienneté dans ces situations, les pères solos découvrent, la plupart du temps sans l’avoir souhaité, la difficulté de jouer les deux rôles paternel et maternel pour répondre au mieux aux besoins de l’enfant. Etre un sur père semble dès lors à certains comme une manière de compenser l’absence maternelle. Mais de fait, ils se trouvent comme les mères seules en charge d’assurer la fonction d’autorité et celle de fournisseur de tendresse.

P.S. : Les pères seuls auraient-ils plus de mal à faire preuve d'autorité pour "ne pas écorner cette image précieuse du père parfait" ?

P.H. : Non, je ne crois pas que ce soit le cas. C’est plus l’équilibre entre cette fonction d’autorité et les temps affectifs qui leur est difficile.

P.S. : Vous écrivez : "Il ne faut pas chercher à remplacer la mère absente, ni à combler son absence. En revanche, il est indispensable de la laisser exister, dans la parole, l'évocation - le souvenir en cas de décès." Malheureusement, les conflits entre les parents viennent souvent empêcher cela...

P.H. : Il est toujours essentiel, dans la mesure du possible, de différencier le rôle des parents et leurs responsabilités communes à l’égard des enfants d’une part, des conflits conjugaux d’autre part. A défaut, l’enfant s’estime presque toujours coupable de la séparation de ses parents et leur mésentente, ce qui n’est évidemment pas un cadeau à lui faire. C’est pourquoi la place de la mère, l’importance de son rôle en tant que mère, les souvenirs évoqués des moments où elle était (ou est) présente pour l’enfant… doivent être fréquents. Soit par le père, soit par des membres de la famille élargie ou des ami(e)s. Il faut que l’enfant perçoive clairement qu’il peut parler de sa mère sans déclencher les foudres paternelles.

P.S. : Les raisons des difficultés de légitimité du père seul ne se résument-elles pas dans le fait que "la mère est mère pour tous, sans conteste et pleinement" alors que le père doit "apporter la preuve de sa volonté d'exercer sa fonction paternelle" ?

P.H. : Je crois que c’était vrai mais que c’est en train de changer. Les nouveaux modes de procréation assistée pourront conduire à autant d’incertitudes pour le père que pour la mère à l’avenir.

P.S. : Les pères seuls auraient-ils plus de difficultés à faire entrer une femme dans leur vie ?

P.H.. : C’est ce qui ressort de notre enquête : ils semblent désireux d’assurer ce qu’ils estiment être leur devoir paternel en excluant un engagement durable dans une nouvelle vie de couple, craignant sinon de ne pas être "suffisamment bons pères". C’est probablement une étape transitoire dans l’histoire des pères solos !

P.S. : Nous avons toujours voulu que notre site www.parent-solo.fr s'adresse aux "mamans seules, mais aussi papas seuls, parents veufs, beaux-parents" et c'est payant puisque de nombreux pères seuls le fréquentent : n'est-ce pas aussi un signe de l'évolution de la parentalité ?!

P.H.. : Tout à fait. Ce choix de s’adresser aux deux sexes me semble très profitable, le transfert d’expérience des mères solos vers les pères solos remplaçant la rareté des témoignages anciens d’autres pères solos (en dehors des veufs, heureusement moins nombreux qu’autrefois).

Et puis peut-être que des mères solos et des pères solos peuvent former ensemble un nouveau couple en duo !

Découvrir "Pères solos, pères singuliers ?" de Patrice HUERRE et Christilla PELLE-DOUEL

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